« Club sandwich » : nouveau succès pour la procédure de clémence
Auteurs : Sylvie Cholet, Avocate associée et Paul Cagnard, Juriste stagiaire
Publié le :
07/04/2021
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04
2021
Décision 21-D-09 du 24 mars 2021
relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la fabrication et de la commercialisation de sandwichs sous marque de distributeur
L'Autorité de la concurrence a rendu le 24 mars 2021 une décision par laquelle elle sanctionne, pour un montant global de 24 574 000 euros, une entente anticoncurrentielle prohibée par les articles 101 TFUE et L. 420-1 du code de commerce, dans le secteur de la fabrication et de la commercialisation de sandwichs sous marque de distributeur (dits « MDD »).
Durant 6 ans, entre septembre 2010 et septembre 2016, les trois principaux fabricants français, Roland Monterrat, La Toque Angevine (ci-après « LTA ») et Snacking Services (ci-après « Daunat ») ont élaboré et mis en œuvre un plan visant à se répartir les marchés et à s’accorder sur les prix.
Leur stratégie commune consistait à désigner par avance celle qui remporterait les appels d’offres des enseignes de grandes et moyennes surfaces alimentaires (ci-après « GSA ») et des stations-service, afin de cristalliser leurs positions. Elles ont également coordonné leurs négociations tarifaires bilatérales menées en cours de marché avec les enseignes de la GSA afin d’obtenir des hausses de prix jugées satisfaisantes et faire échec aux stratégies de négociation de leurs clients.
Par le biais de rencontres secrètes et informelles, d’appels téléphoniques ou par l’envoi de SMS ou de courriers électroniques, les trois entreprises:
- S’envoyaient leurs projets de prix avant de répondre aux différents appels d’offres des enseignes de la GSA et se transmettaient des consignes tarifaires, s’agissant de la répartition des marchés ;
- S’échangeaient des informations stratégiques et confidentielles sur les principaux paramètres des négociations, s’agissant de l’évolution des tarifs dans le cadre des marchés en cours d’exécution.
Ces pratiques sont anticoncurrentielles par objet : « Chaque entreprise doit en effet s’abstenir rigoureusement de participer à des prises de contact, directes ou indirectes, avec ses concurrents en vue d’échanger sur les politiques commerciales et, notamment, sur les prix qu’ils ont l’intention de proposer sur le marché, ou encore sur les stratégies qu’ils envisagent de mener, notamment à l’égard des distributeurs » (pt. 185).
Les entreprises ont bénéficié de la clémence de l’Autorité.
L’Autorité a considéré que leur gravité et l’importance du dommage causé à l’économie justifiait de déterminer le montant de base de la sanction en retenant une proportion de 16 % de la valeur des ventes de sandwichs industriels froids sous MDD aux enseignes de la GSA et aux stations-service, soit un montant cumulé de sanction encourue de 64,5 millions d’euros après prise en compte des éléments d’individualisation (pt. 302).
Ce montant a toutefois été ramené à près de 25 millions d’euros, soit 2,5 fois moins, grâce au mécanisme de la procédure de clémence dont ont bénéficié les trois entreprises :
- Roland Montserat, en tant que demandeur de premier rang ayant dénoncé les pratiques en juillet 2016, a bénéficié d’une exonération totale de la sanction encourue (on note que l’avis de clémence dont elle a fait l’objet l’autorisait à poursuivre les pratiques jusqu’aux opérations de visite et de saisie),
- LTA, en tant que demandeur de second rang ayant apporté des éléments à valeur ajouté significative, a bénéficié d’une réfaction de la sanction encourue à hauteur de 35% (elle a appelé la première la ligne téléphonique dédiée au service de demande de clémence lors des opérations de visite qui s’étaient déroulées dans ses locaux le 15 septembre 2016) : sa sanction a donc été fixée à 15 574 000 euros au lieu de 23 960 719 euros encourus (montant de base);
- Daunat , en tant que demandeur de troisième rang ayant apporté des éléments à valeur ajouté significative, a bénéficié d’une réfaction de la sanction encourue à hauteur de 30% (elle a appelé la ligne dédiée 1h30 après LTA). Le montant final de sa sanction a toutefois été encore abaissé (35% de réfaction au total) par le jeu de la « clémence plus » car elle a été la première à apporter des preuves incontestables que les échanges anticoncurrentiels s’étaient poursuivis pendant un période supplémentaire de trois mois et qu’ils avaient eu également pour objet un segment de marché en particulier. Conformément au point 22 du communiqué de procédure du 3 avril 2015 relative au programme de clémence français, l’Autorité n’a donc pas tenu compte de ces faits pour fixer le montant de son amende. Les difficultés financières dont l’entreprise a justifié ont permis de ramener le montant final de sa sanction à 9 000 000 euros au lieu de 21 456 792 euros encourus (montant de base).
S’ajoute à ces sanctions pécuniaires l’obligation pour les trois entreprises de publier un résumé de la décision dans les magazines « LSA » et « 60 millions de consommateurs ».
Il est intéressant de noter enfin que le bénéfice de la procédure de transaction a été refusé aux entreprises car il n’apportait pas en l’espèce de gain procédural : l’intérêt de la transaction est en effet pour les services d’instruction d’alléger leur travail car ils n’ont pas à rédiger un Rapport en plus de la Notification de griefs. C’est la contrepartie. Or, ici, les services d’instruction n’avaient pas établi de rapport, en application de la dernière phrase du IV de l’article L. 464-2 du code de commerce (dans sa version applicable jusqu’au 5 décembre 2020).
Cela ne signifie pas que la clémence est incompatible avec la transaction (i.e. lorsque toutes les entreprises n’ont pas demandé ou se sont vu refuser le bénéficie de la clémence).
En revanche, cela pourrait signifier (à confirmer par la pratique) que la transaction serait incompatible avec tous les cas où l’Autorité se prononce sans établissement d’un rapport notamment en cas de procédure simplifiée (art. L. 463-3 du c.com).
***
LTA a annoncé publiquement sa volonté de faire appel de la décision.
Cela n’empêchera pas les grandes surfaces alimentaires et stations-service s’estimant victimes des pratiques ainsi condamnées d’intenter des actions indemnitaires, mais elles se confronteront à la protection définitive et absolue accordée aux éléments du dossier de l’Autorité, obtenus dans le cadre de la mise en œuvre de la procédure de clémence.
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