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Agent commercial et liberté tarifaire

Agent commercial et liberté tarifaire

Auteurs : Sylvie Cholet, Avocate
Publié le : 05/09/2020 05 septembre sept. 09 2020
Source : curia.europa.eu

CJUE 4 juin 2020, aff. C-828/18

Un intermédiaire indépendant peut-il bénéficier du statut d’agent commercial s’il n’a pas la faculté de modifier les prix des marchandises dont il assure la vente pour le compte du commettant ?

Telle est en substance la question posée à la CJUE par le tribunal de commerce de Paris dans un litige opposant un intermédiaire à son commettant, avec pour enjeu l’attribution d’une indemnité de rupture du contrat d’agent commercial, au sens de l’article L. 134-12 du code de commerce.

Cette question s’appuie sur la rédaction de la directive européenne 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants (JO 1986, L 382, p. 17), qui a été transposée en droit français aux articles L. 134-1 et suivants du code de commerce.

L’article 1 er , paragraphe 2 de cette directive définit l’agent commercial comme étant celui qui, en tant qu’intermédiaire indépendant, est chargé de façon permanente, soit de négocier la vente ou l’achat de marchandises pour une autre personne, dénommée « commettant », soit de négocier et de conclure ces opérations au nom et pour le compte du commettant.

Il a été jugé[1] que le statut d’agent commercial dépend donc de la réunion de trois conditions « nécessaires et suffisantes »
  • Posséder la qualité d’intermédiaire indépendant
  • Être lié contractuellement de façon permanente au commettant
  • Exercer une activité consistant soit à négocier la vente ou l’achat de marchandises pour le commettant, soit à négocier et à conclure ces opérations au nom et pour le compte de celui-ci
Si les deux premières conditions  n’appellent pas de commentaire, la troisième en revanche pose la difficulté de savoir quel sens donner au terme « négocier » : implique-t-il une liberté tarifaire ou non ?

Il est intéressant de relever ici que les traductions allemande et polonaise de la directive n’utilisent pas le terme « négocier » mais « servir d’intermédiaire ».
La question préjudicielle ici est donc primordiale car, comme le souligne la CJUE,  le terme «négocier» est une notion autonome du droit de l’Union qui doit être interprétée de manière uniforme sur le territoire de cette dernière [2].

A l’issue de son analyse, et notamment en raison de l’objectif de la directive 86/653 qui est de protéger les agents commerciaux et de sécuriser les opérations commerciales, la Cour tranche en faveur d’une interprétation large de l’article 1er , paragraphe 2 :

« une personne ne doit pas nécessairement disposer de la faculté de modifier les prix des marchandises dont elle assure la vente pour le compte du commettant pour être qualifiée d’agent commercial, au sens de cette disposition. »

Voilà une solution attendue[3] très importante prenant le contrepied de la doctrine de la Cour de cassation - qui jusqu’à présent exige un pouvoir de négociation sur les prix[4] - appelant donc à un revirement prochain de jurisprudence en France.

Elle a le double mérite d’élargir l’accès du statut d’agent commercial au bénéfice des intermédiaires et d’être cohérente avec le règlement UE n°330/2010 sur les accords de restriction verticale au bénéfice des commettants[5]. Tel que précisé par la Commission européenne dans ses lignes directrices[6], le statut d’agent commercial permet en effet au commettant d’échapper à l’interdiction  des ententes anticoncurrentielles lorsqu’il impose les prix et conditions auxquels l'agent doit vendre les biens  ou services[7].
 
[1] arrêt du 21 novembre 2018, Zako, C‑452/17, EU:C:2018:935, point 23
[2] Pt 25 faisant réf à l’arrêt du 19 décembre 2019, Engie Cartagena, C‑523/18, EU:C:2019:1129, point 34 et jurisprudence citée
[3] La Cour d’appel de Paris, approuvée par la Cour de cassation, avait précédemment écarté une demande de question préjudicielle, jugeant que « les dispositions de la Directive en cause ne posent pas de difficultés particulières de compréhension » : CA Paris, 26 janvier 2017, n°15/04995 conf. par com., 10 octobre 2018, 17-17.290
[4] cass. com., 19 juin 2019, n° 18-11.727 ; com., 10 octobre 2018, 17-17.290
[5] Règlement (UE) no 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées
[6] Lignes directrices sur les restrictions verticales (2000/C 291/01) publiées par la Commission européenne le 13 octobre 2000
[7] Il s’agit d’obligations inhérentes au contrat d’agence dès lors que le commettant – qui conserve la propriété des biens– doit assumer les risques commerciaux ; LD, § 18 ; cf. Adlc, déc. n° 09-D-23 du 30 juin 2009
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