Contrôle des concentrations : la Commission priée de revoir sa copie
Publié le :
29/06/2020
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Trib. UE., 28 mai 2020, aff. T-399/16, CK Telecoms UK Investments / Commission
1. Aux termes de son jugement du 28 mai 2020, le Tribunal de première instance de l’Union européenne a annulé la décision par laquelle la Commission européenne avait interdit l’acquisition de Telefónica UK par Hutchison 3G UK. A cette occasion, le TPIUE pose le cadre de l’analyse prospective s’appliquant aux effets non coordonnés d’un projet de concentration concernant un marché oligopolistique.
2. L’autorité européenne de la concurrence avait considéré que l’opération ferait disparaître un concurrent important sur le marché de la téléphonie mobile au Royaume-Uni, qui en compte seulement quatre, ce qui entrainerait vraisemblablement une hausse des prix des services de téléphonie mobile au Royaume-Uni et une limitation du choix pour les consommateurs.
La décision était fondée sur l’article 2 §3, du règlement UE n° 139/2004, selon lequel “les concentrations qui entraveraient de manière significative une concurrence effective dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci, notamment du fait de la création ou du renforcement d'une position dominante, doivent être déclarées incompatibles avec le marché commun.” [1] La Commission a démontré une telle entrave au travers de trois « théories du préjudice » selon lesquelles l’opération supprimerait la concurrence entre Three et O2 sur le marché́ de détail ainsi que sur le marché́ de gros et nuirait au bon fonctionnement des accords de partage de réseau sur le marché de détail.
3. Mais pour le TPIUE, la Commission n’a pas suffisamment respecté l’exigence de preuve qui lui incombe, pour démontrer en quoi les effets non coordonnés de la concentration entraveraient de manière « significative » une concurrence effective sur ce marché oligopolistique de la téléphonie mobile au Royaume Uni (point 70).
4. A cet égard, le TPIUE préconise une analyse prospective en deux étapes consistant :
- d'abord, à évaluer le comportement futur de l’entité fusionnée et des autres opérateurs à la suite de l’opération de concentration, « par le biais de l’appréciation de l’évolution économique attribuable à l’opération en cause dont la probabilité est la plus forte (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C‑413/06 P, EU:C:2008:392, point 51) » (point 113) ; la Commission doit démontrer le cas échéant que « l’entrave significative à une concurrence effective est la conséquence directe et immédiate de la concentration” c’est-à-dire du comportement futur de l’entité fusionnante, « rendu possible et économiquement rationnel par la modification des caractéristiques et de la structure du marché causée par la concentration » (point 114) ;
- ensuite, à apprécier « par le biais d’une analyse prospective du marché de référence […] si ce comportement futur aboutira vraisemblablement à une situation dans laquelle une concurrence effective dans le marché en cause est entravée de manière significative (voir, en ce sens, arrêt du 6 juin 2002, Airtours/Commission, T‑342/99, EU:T:2002:146, point 59). » (point 115). La Commission doit alors s’appuyer sur « un faisceau de preuves et d’indices, et qui est fondée sur plusieurs théories du préjudice” et est “tenue de produire suffisamment de preuves pour démontrer avec une probabilité sérieuse l’existence d’entraves significatives à la suite de la concentration » (point 118).
5. En l’espèce, le TPIUE a jugé que les trois théories du préjudice avancées par la Commission n’étaient pas suffisamment étayées.
6. (i) Sur la théorie du préjudice relative aux effets non coordonnés sur le marché de détail
Pour la Commission, l’opération de concentration aurait pour effet d’éliminer la concurrence entre deux puissants acteurs sur le marché. Three, serait un important “moteur de la concurrence” sur le marché britannique de la téléphonie mobile et l’autre, O2, occuperait une position forte, si bien que la nouvelle entité issue de la fusion serait le principal acteur de ce marché, avec une part d’environ 40% (point 2).
Pour le Tribunal, la Commission a commis une erreur de droit en ayant eu recours à la notion d’ « important moteur de la concurrence » plutôt qu’à la notion d’« élimination d’une forte contrainte concurrentielle”, mentionnée au considérant 25 du même règlement.
Ces deux notions ne sont en effet pas alternatives et “en faisant l’amalgame de ces notions, la Commission procède à un élargissement considérable du champ d’application de l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 139/2004, dès lors que toute élimination d’un important moteur de la concurrence équivaudrait à l’élimination d’une forte contrainte concurrentielle qui, à son tour, justifierait de conclure à l’existence d’une entrave significative à une concurrence effective.” (Point 173).
Par ailleurs, le Tribunal estime que la Commission ne démontre pas suffisamment que la concentration donnerait lieu à des effets non coordonnés en l’absence de proximité de concurrence sur certains segments (ie. segment des consommateurs professionnels) : « s’il peut, certes, être établi que Three et O2 sont des concurrents relativement proches sur une partie des segments d’un marché concentré comptant quatre opérateurs de réseau mobile, ce seul élément ne saurait suffire à prouver, dans le cas d’espèce […] une entrave significative à une concurrence effective, à moins d’interdire, par principe, toute concentration résultant en un passage de quatre opérateurs à trois » (point 249).
7. (ii) Sur la théorie du préjudice, relative aux effets non coordonnés produits par le bouleversement des accords de partage de réseau
Pour rappel, les quatre opérateurs du marché s’étaient répartis le réseau à travers deux accords bilatéraux : d’une part BT/EE/Three et d’autre part Vodafone-O2. Ces accords leur permettaient respectivement de partager les coûts de déploiement de leurs réseaux tout en continuant à se faire concurrence sur le plan du commerce de détail (point 4).
Selon la Commission, le fait que l’entité issue de la concentration serait partie aux deux accords de partage aurait pour effet d’accroître la transparence relative aux investissements effectués dans le réseau ce qui risquerait de réduire le niveau global des investissements (point 314).
A cet égard, le TPIUE relève que les effets non coordonnés de la concentration n’ont pas fait l’objet d’un examen approfondi ce qui constitue « une faiblesse de l’analyse ».
En effet, « selon le considérant 25 du règlement 139/2004, l’évaluation d’une possible élimination des fortes contraintes concurrentielles que les parties à la concentration exerçaient l’une sur l’autre, ainsi qu’une possible réduction des pressions concurrentielles sur les autres concurrents, est au cœur de l’évaluation des effets non coordonnés résultant de la concentration » (point 359).
Ainsi, les conséquences en termes de préjudice pour le consommateur d’une possible élimination de la pression concurrentielle non seulement sur les prix, mais au-delà, sur la qualité de l’offre et le choix offert aux clients, nécessiterait, pour que la décision prospère un raisonnement particulièrement solide et convaincant. Tel n’est pas le cas dans la décision annulée.
8. (iii) Quant à la théorie de préjudice relative à l’existence d’effets non coordonnés sur le marché de gros
Selon la Commission, le projet de concentration aurait pour conséquence une réduction du nombre de réseaux mobiles hôtes, ce qui impacterait négativement la situation de négociation des opérateurs virtuels.
Or, le seul fait que Three ait un rôle plus important dans le jeu de la concurrence que ne le laisserait supposer sa part de marché, n’est pas suffisant pour établir l’existence d’une entrave significative à une concurrence effective (point 446).
D’autant plus que la part de marché de Three est, en réalité, modeste (point 449).
9. L’analyse de l’opération devra donc à nouveau être soumise au contrôle de la Commission laquelle est invitée à davantage de rigueur dans l’analyse si elle persiste à vouloir interdire l’opération.
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Auteur: Sylvie Cholet, associée gérante,
avec l'assistance de Melle Mallaury Paolpi, stagiaire étudiante au Master 2 Droit de l'Economie (Concurrence-consommation) faculté de Montpellier
Auteur: Sylvie Cholet, associée gérante,
avec l'assistance de Melle Mallaury Paolpi, stagiaire étudiante au Master 2 Droit de l'Economie (Concurrence-consommation) faculté de Montpellier
[1] déc. C (2016) 2796 de la Commission, du 11 mai 2016, aff. COMP/M.7612 - Hutchison 3G UK/ Telefonica UK
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