Les clauses de non-concurrence par le prisme de l’interdiction des ententes anticoncurrentielles
Auteurs : Sylvie Cholet, avocate associée, et Emma Zabraniecki, juriste stagiaire
Publié le :
13/07/2021
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Cass. com, 12 mai 2021, n° Pourvoi n° Z 19-12.357
Le 12 mai 2021, la Cour de cassation a confirmé l’illicéité d’une clause de non concurrence interdisant à la Fnac et à Conforama, pendant 5 ans, de vendre des cartes cadeaux mono enseigne concurrentes.
Cette décision vient réaffirmer l’encadrement des clauses de non concurrence, limitatives de la liberté d’entreprendre, en les confrontant au droit des ententes anticoncurrentielles. En effet, si une clause de non-concurrence en matière commerciale peut être considérée valide si elle est limitée dans le temps ou l’espace et est proportionnée aux intérêts légitimes de la société bénéficiaire de la clause, tel ne sera pas le cas si elle constitue une pratique anticoncurrentielle.
1. Contexte
Pour rappel, la clause en question avait été souscrite à l’occasion de la cession, en mars 2007, de la société Kadéos par Kering, Fnac, Conforama et Redcats à la société Accor Services. Dans ce contrat figuraient des clauses d’exclusivité selon lesquelles les enseignes [Fnac, Conforama, Redcats et leurs filiales] s’engageaient, pendant cinq ans, à n’accepter en règlement des marchandises vendues aucun règlement par bons cadeaux autres que ceux proposés par Accentiv-Kadéos. Des contrats de partenariat, conclus pour cinq ans et annexés au contrat de cession mettaient à la charge des enseignes ces obligations d’exclusivité ainsi qu’une obligation de non concurrence, selon laquelle elles s’interdisaient « pour la durée des présentes de mettre sur le marché français à travers [leur] système de distribution d’autres cartes prépayées ou chèques cadeaux que les Solutions Cadeaux Kadéos (…). ».
En octobre 2010, Fnac et Conforama avaient décidé de mettre en vente leur propre carte cadeau mono-enseigne. En réaction, Accentiv’Kadéos (devenue Edenred) avait obtenu du juge des référés, courant novembre 2010, qu’il leur enjoigne de cesser la distribution des cartes cadeaux en contravention avec la clause.
Le 23 décembre 2010, Fnac avait saisi le tribunal de commerce de Paris pour obtenir la levée de la clause de non-concurrence. Conforama avait formé des demandes identiques, par intervention volontaire.
Le 27 avril 2011, l’Autorité de la concurrence – sur saisine de la société Titres Cadeaux, concurrente de Kadéos – avait rendu une décision rendant obligatoires des engagements proposés par Kadéos (Décision n° 11-D-08). Ces engagements visaient notamment la suppression des clauses d’exclusivité ou encore la diminution de cinq à trois ans de la durée des nouvelles clauses à compter du 1er janvier 2012.
Le 14 mars 2016, le tribunal de commerce de Paris a statué à son tour, refusant de reconnaitre la décision d’engagements comme valant qualification d’une pratique anticoncurrentielle, et condamnant Fnac et Conforama à payer à Edenred 6,6 millions d’euros en réparation de son préjudice et pas moins de 100 000 euros pour procédure abusive. Fnac et Conforama ont interjeté appel devant la Cour d’appel de Paris.
2. Solution
2.1. Une décision par laquelle l’Autorité de la concurrence accepte des engagements n’est ni immunisante pour l’entreprise concernée, ni probatoire pour les entreprises souhaitant revendiquer une pratique anticoncurrentielle.
Dans son arrêt du 28 décembre 2018, la cour d’appel a d’abord rappelé que la décision d’acceptation d’engagements rendue par l’autorité de la concurrence ne « certifie pas la conformité au droit de la concurrence des pratiques faisant l’objet de « préoccupations » ». De la même façon, cette décision ne peut servir à elle-seule de preuve d’une infraction aux règles du droit de la concurrence, mais seulement de commencement de preuve et, à ce titre, peut fournir des indices.
2.2. La clause de non concurrence qui ne peut être considérée comme une restriction accessoire, est bien illicite, comme constituant une entente horizontale anticoncurrentielle par objet
La Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel en ce qu’elle a déduit « à bon droit que cette clause était illicite dans son ensemble » car elle concerne tant l’émission que la distribution des cartes-cadeaux mono-enseigne.
Cette clause ne pouvait être sauvée que ce soit au titre de la théorie des restrictions accessoires ou d’une exemption catégorielle.
- Bien que souscrite à l’occasion d’une opération de cession, la clause ne pouvait être validée en tant que restriction accessoire
Il s’agit de vérifier «d’une part, que la restriction en cause [est] subordonnée, en importance et par un lien évident, à l’opération principale [qui elle ne doit pas constituer une restriction de concurrence], d’autre part, qu’elle [est] objectivement nécessaire et, enfin, qu’elle soit proportionnée à sa réalisation. ».
Or, en l’espèce, la Cour a jugé à bon droit que Edenred « ne démontrait pas ainsi qu’il lui incombait, que la durée de la clause qui comportait une obligation de non-concurrence et non des obligations d’achats et de livraisons comme invoqué dans le moyen, était proportionnée à la réalisation de l’opération principale ».
Rappelons que, en l’espèce, la durée de la clause était de cinq ans, là où elle est en général considérée justifiée pour une durée de trois ans dans les cas où la cession inclut la fidélisation de la clientèle (point 20 de la communication de la Commission relative aux restrictions directement liées et nécessaires à la réalisation d’opérations de concentration).
- Ayant été souscrite entre opérateurs concurrents, la clause ne relève pas de l’exemption relative aux restrictions verticales
2.3. Le juge du fond doit relever d’office la nullité d’une clause de non concurrence anticoncurrentielle
La Cour de cassation a reproché à la Cour – sans toutefois que cela impacte l’issue du pourvoi – de n’avoir« pas prononcé l’annulation de cette clause, en méconnaissance des articles 101, alinéa 2, du TFUE et L. 420-3 du code de commerce, ce qu’elle aurait dû faire en relevant ce moyen d’office après avoir recueilli les observations des parties ».
Cette critique de la Haute juridiction peut paraître surprenante puisqu’il avait été jugé, au niveau européen, que le droit communautaire n’impose pas aux juridictions nationales de soulever d’office un moyen tiré de la violation de dispositions communautaires, (CJCE, 14 déc. 1995, aff. C-430/93). Plus généralement, la Cour de cassation avait posé le principe, fondé sur l’article 12 du Code de procédure civile, selon lequel le juge a une simple faculté et non une obligation de relever d'office la nullité d’un contrat illicite (Cass. ass. plén., 21 déc. 2007 n°06-11.343 : par son communiqué accompagnant l’arrêt, la Cour de cassation indiquait que «si le juge doit jouer un rôle actif dans le déroulement du procès, il n'a pas à remplir tous les rôles et qu'il revient aux parties elles-mêmes, représentées par des conseils professionnels, d'invoquer tous les moyens susceptibles de fonder leurs prétentions ».)
Bien que le prononcé de la nullité n’influence pas l’issue du litige, il aurait pu avoir des conséquences futures. La nullité d’une clause s’analyse différemment d’une clause réputée non écrite : en effet, contrairement au réputé non-écrit qui produit ses effets automatiquement, la nullité requiert l’intervention du juge. Le coche manqué, la nullité de la clause ne pourra donc plus être prononcée dans cette affaire.
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