Le dynamique créateur d’ AGN AVOCATS gagne un premier round en matière de vente de produits dermo-cosmétiques sur des marketplaces
Publié le :
11/04/2016
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La confrontation de la distribution sélective et du commerce en ligne n’en finit pas de soulever des questions délicates. Un tournant vient justement d’être pris par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 2 février 2016, rendu sur recours contre une ordonnance du tribunal de commerce de Paris du 31 décembre 2014.
Rappelons les faits :
La société eNOVA Santé, propriétaire de la place de marché en ligne http://www.1001Pharmacies.com sur laquelle elle proposait des produits de marque Caudalie, vendus en principe seulement par des distributeurs agréés pharmaciens et parapharmaciens (dont eNova ne faisait pas partie) ne pouvant commercialiser les produits que sur leur propre site internet.
Caudalie la poursuivait en référé et avait obtenu des premiers juges qu’ils lui enjoignent de cesser toute commercialisation de ses produits sur la pharmacie en ligne, au motif du trouble manifestement illicite résultant de la violation de son réseau de distribution sélective interdisant le recours à ce canal de vente (l’art. L. 442-6 IV du code de commerce prévoit la possibilité d’obtenir en référé la cession de la pratique abusive visée au I). Le demandeur s’appuyait sur l’article L. 442-6 I 6° du code de commerce, qui interdit de participer directement ou indirectement à la violation de l'interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive, exempté au titre des règles applicables du droit de la concurrence.
Mais qu’est-ce qu’un accord « exempté » ? C’est précisément sur ce dernier point que la société eNova Santé a finalement obtenu gain de cause devant les juges du second degré.
Les précédents :
Déjà en 2007, la stratégie de Caudalie consistant en une interdiction totale de vendre en ligne adressée à ses distributeurs avait été qualifiée de « préoccupation de concurrence »par le Conseil de la concurrence car elle revenait à interdire les ventes actives ou passives aux utilisateurs finals(Décision n° 07-D-07 du 8 mars 2007 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la distribution des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle) . Or, une telle pratique mise en œuvre dans un réseau de distribution sélective constitue une restriction caractérisée, qui empêche l’accord de bénéficier d’une exemption par catégorie (art. 4 du Régl. CE n° 2790/99 – remplacé par le Régl. UE n° 330/2010). Pour mettre un terme à la procédure, le fabricant avait pris l’engagement de proposer à ses distributeurs la conclusion d’un contrat spécifique de vente à distance sur Internet, accessoire au contrat cadre de distribution.
A l’époque, toutefois, le Conseil de la concurrence avait considéré légitime pour les fabricants d’interdire la vente via le canal des marketplaces dès lors qu’il n’apportait pas suffisamment de garantie sur la qualité et l’identité des vendeurs (déc., § 104), tout en admettant que les plates-formes ont la capacité de satisfaire aux critères qualitatifs de présentation des produits en cause dans des boutiques virtuelles réservées aux revendeurs agréés (déc., § 105). Cette position a été reprise dans l’avis n°12-D-20 relatif au fonctionnement concurrentiel du commerce électronique (§354).
Depuis, l’Autorité a eu l’occasion à plusieurs reprises de se prononcer sur l’interdiction, par la tête d’un réseau de distribution sélective à ses membres, d’avoir recours à des marketplaces : (i) une première fois, elle a décidé de poursuivre l’instruction au fond de cette pratique dont elle n’a pas exclu qu’elle puisse être révélatrice de restrictions verticales sur les ventes actives et passives des détaillants opérant sur le marché pertinent (déc. n° 14-D-07, 23 juill. 2014, relative au secteur de la distribution des produits bruns, en particulier des téléviseurs) ; (ii) une autre fois, elle a annoncé avoir accepté de clore une enquête à l’encontre d’Adidas parcequ’il s’était engagé à supprimer de ses contrats la clause d’interdiction en question (Adlc, communiqué de presse du 18 nov. 2015, vente en ligne ; cette annonce faisait suite à une procédure d’engagements devant le Bundeskartellamt conclue en juin 2014).
L’arrêt de la Cour de Paris de 2016
Aux termes de son arrêt du 2 février 2016, la Cour d’appel de Paris a considéré que, au regard des précédents susvisés auxquels s’ajoute la plainte formulée par eNova Santé devant l’Autorité de la concurrence le 7 décembre 2015, l’éventualité que « cette interdiction de principe du recours pour les distributeurs des produits Caudalie, pour l’essentiel pharmaciens d’officine, à une plate-forme en ligne quelles qu’en soient les caractéristiques est susceptible de constituer, sauf justification objective, une restriction de concurrence caractérisée exclue du bénéfice de l’exemption communautaire individuelle visée à l’article L.442-6 I 6° » prive le trouble invoqué par Caudalie de son caractère manifestement illicite.
Comme la Cour le souligne, le droit applicable est « éminemment évolutif » et plusieurs décisions de l’Autorité de la concurrence sont encore attendues sur ce sujet (décision concernant les produits bruns et celle concernant Caudalie), sans compter le rapport à venir de la Commission européenne clôturant son enquête sectorielle sur le commerce en ligne, lancée le 26 mars 2015.
La Cour de Paris souhaite donc accroitre la visibilité des produits sur Internet, y compris lorsqu'ils relèvent de la distribution sélective.
Cette affaire n’est pas terminée.
Plus largement, la question du périmètre de protection dont peuvent jouir les membres d’un réseau de distribution sélective reste posée. La distribution sélective, assortie de conseils et de services spécifiques, a paru suffisamment bénéfique pour le consommateur dans les années 80 pour que l’on réserve la distribution de certains produits (luxe, haute technicité) à des revendeurs triés sur le volet.
Trente ans plus tard, le développement du commerce en ligne a pulvérisé les modes traditionnels de distribution. La vente en ligne est un facteur de concurrence indéniable (même si elle présente ses propres risques et limites) et elle profite incontestablement aux consommateurs. Dans ce nouveau contexte, comment concilier les règles applicables ? Doit-on continuer à protéger certains revendeurs de la concurrence ? Jusqu’où ne pas aller trop loin ? Telles sont les interrogations auxquelles les autorités de concurrence et juridictionnelles devront apporter des réponses claires et justes, et cela rapidement.
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