Quel recours contre la communication de l’Autorité de la concurrence?
Auteurs : Sylvie Cholet, avocate associée, et Marc-Antoine Gévaudan, avocat collaborateur
Publié le :
10/03/2023
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2023
CA Paris, Pôle 5 chambre 7, 16 février 2023, n° 20/14632
La communication de l’Autorité de la concurrence qui se rapporte à une sanction particulière est indissociable de la décision de sanction en elle-même et relève de la compétence exclusive de la Cour d’appel de Paris
La société Roche, un des trois laboratoires suisses sanctionné à l’occasion de la décision n°20-D-11 de l’Autorité de la concurrence d’une amende de près de 444 millions d’euros, avait formé un recours en référé auprès du premier président de la Cour d’appel de Paris afin de faire cesser la communication faite autour de ladite sanction par l’Autorité.
Cette communication avait pris la forme, en plus du communiqué habituellement mis en ligne sur l’Autorité pour accompagner ses décisions, d’un communiqué publié sur différents médias et réseaux sociaux comprenant une vidéo, en français et en anglais, faisant état de la gravité des pratiques révélées, ainsi que d’un courrier d’information envoyé à un syndicat représentatif des entreprises du médicament.
1. D’abord, la requérante a exercé un référé suspensif fondé sur l’article L.464-8, alinéa 2 du code de commerce, qui permet au premier président de la Cour d’appel de Paris d’ordonner un sursis lorsque l’exécution d’une décision de l’Autorité est susceptible d’entraîner des conséquences manifestement excessives pour l’entreprise sanctionnée.
Selon le laboratoire, la communication de l’Autorité portait gravement atteinte à son image et à ses intérêts financiers, notamment au regard de la préparation de son entrée sur le marché du traitement des affections ophtalmiques en France.
Elle soutenait que la communication de l’Autorité constituait un trouble manifestement illicite et considérait que la Cour d’appel de Paris était « a fortiori compétente pour toute question concernant une difficulté d’exécution suivant l’adoption et la publication par l’Autorité d’une décision de sanction ».
Le trouble manifestement illicite était, selon elle, caractérisé par :
- L’imposition d’une sanction complémentaire illégale, qui porte une atteinte disproportionnée à ses droits ;
- La violation de sa présomption d’innocence ;
- La violation par l’Autorité de son obligation de discrétion et du devoir de réserve, portant atteinte à ses droits de la défense.
Aux termes d’une ordonnance en date du 12 mai 2021, la Cour d’appel de Paris s’est déclarée incompétente pour statuer sur la demande du laboratoire, considérant que celle-ci ne constituait pas une demande de sursis à exécution au sens des articles L.464-8 et R.464-22 du code de commerce.
2. Ensuite, le laboratoire s’est pourvu en cassation contre cette ordonnance amenant la Cour de cassation à renvoyer devant le Tribunal des conflits la question de la compétence pour statuer sur ce litige.
Selon les hypothèses de la Cour :
- soit la communication s’analyse comme s’inscrivant dans la politique de communication de l’Autorité dont la contestation relèverait de l’ordre administratif de juridiction,
- soit la communication s’analyse comme une sanction complémentaire indissociables de la sanction au fond, relevant en conséquence de la compétence exclusive de la Cour d’appel de Paris.
Dès lors, « si les actions de communication de l’Autorité de la concurrence, autorité administrative indépendante, relèvent en principe de la compétence de la juridiction administrative, la diffusion par l’Autorité de la concurrence, concomitamment à la mise en ligne d’une décision de sanction sur son site internet, d’une vidéo et de commentaires se rapportant uniquement à cette sanction particulière n’est pas dissociable de la décision de sanction elle-même. »
3. C’est donc seulement dans le cadre de son recours au fond devant la Cour d’appel de Paris formé contre la décision n° 20-D-11 que le laboratoire a pu soumettre ses griefs sur la communication de l’Autorité.
Novartis contestait la communication effectuée en 2020 par l’Autorité et a souhaité mettre à profit la décision du tribunal des conflits du 11 avril 2022.
Après avoir justement considéré que la question relevait de sa compétence, la Cour retient dans son arrêt du 16 février 2023 que la communication litigieuse relative à des pratiques que l’Autorité estimait anticoncurrentielles n’était pas dépourvue de tout fondement légal[1].
Il est permis à l’Autorité de procéder à une diffusion appropriée de ses décisions y compris par des supports de communication destinés aux réseaux sociaux, afin de diffuser une information à la fois précise et compréhensible, y compris par les non spécialistes[2].
Selon la Cour, le ton de la communication, dans une forme accessible au public, n’a pas en l’espèce été manifestement excessif au regard de la gravité des faits tels qu’elle les analysait[3] et qu’il ne saurait être reproché à l’Autorité d’avoir tenu des propos de nature diffamatoire ou dénigrants et d’avoir ainsi manifestement excédé son pouvoir de communication[4].
Toutefois, dans la mesure où la décision a été réformée en toutes ses dispositions (voir le commentaire sur ce site ), la Cour estime qu’il appartient à l’Autorité d’adapter sa communication[5] « en supprimant les messages diffusés sous forme écrite ou vidéo ou, à défaut, en les assortissant de la mention suivante, au début de la communication et de manière apparente :
« La décision de l’Autorité de la concurrence n° 20-D-11 du 9 septembre 2020 ayant sanctionné les sociétés Novartis Pharma SAS, Novartis Groupe France SA, Novartis AG, Roche SAS, Genentech, Inc, et Roche Holding AG a été réformée par un arrêt de la cour d’appel de Paris, en date du 16 février 2023, qui a jugé qu’aucune pratique anticoncurrentielle n’était établie à leur encontre. Cet arrêt est susceptible d’un pourvoi en cassation. »[6]
***
La conclusion de cette histoire est donc que personne n’a été dénigrant : ni les laboratoires dont la condamnation très élevée par l’Autorité a été annulée , ni l’Autorité qui pourra donc continuer à communiquer sur ses décisions adoptées en première instance dans un but pédagogique avec le cas échéant pour effet de dissuader des opérateurs d’adopter un comportement même s'il s'avère finalement licite selon la Cour d'appel …
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