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Entente sur les prix dans le secteur des produits électroménagers :  dix fournisseurs et deux distributeurs condamnés à 611 millions d’euros d’amende

Entente sur les prix dans le secteur des produits électroménagers : dix fournisseurs et deux distributeurs condamnés à 611 millions d’euros d’amende

Auteurs : Sylvie Cholet, avocate associée, et Jeanne Cremers, élève avocate
Publié le : 30/12/2024 30 décembre déc. 12 2024

Adlc, décision 24-D-11 du 19 décembre 2024 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la fabrication et de la distribution de produits électroménagers


Après le secteur du matériel électrique (voir décision 24-D-09 du 29 oct. 2024), c’est au tour du secteur des produits électroménagers de faire l’objet d’une décision de condamnation pour entente verticale de prix.

Par sa décision 24-D-11 du 19 décembre 2024, l’Autorité de la concurrence clôture 2024 en condamnant pour un montant global de 611 millions d’euros douze ententes verticales sur les prix entre fabricants et distributeurs dans le secteur de la fabrication et de la commercialisation des produits de petit et de gros électroménager.

Les entreprises sanctionnées sont les fabricants BSH, Candy Hoover, Eberhardt, Electrolux, Whirlpool (en tant que successeur d’Indesit), LG, Miele, SEB, Smeg, Whirlpool, et les distributeurs Boulanger et Darty. Dix des douze entreprises concernées, excluant SEB et Boulanger, n’ont pas contesté les griefs et ont, à ce titre, bénéficié de la procédure de transaction.

Les pratiques ont été révélées, en partie, grâce à plusieurs indices transmis par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF ), ayant donné lieu à des opérations de visite et saisie en 2013 et 2014, puis à une demande de clémence en 2015 déposée par des sociétés du groupe BSH (alors coentreprise entre Siemens et Bosch).

Les faits avaient déjà donné lieu à une précédente décision pour entente horizontale : en 2018, l’Autorité avait sanctionné six entreprises (BSH, Candy Hoover, Eberhardt, Electrolux, Whirlpool au nom et pour le compte d’Indesit et en tant qu’auteur), à une amende de 189 millions d’euros, pour s’être concertées , lors de réunions secrètes en marge des réunions officielles du syndicat GIFAM, sur les hausses des prix de vente conseillés (entente horizontale) et pour s’être entendues sur les modifications des conditions commerciales appliquées aux cuisinistes pour les modèles d’exposition (Adlc, décision n° 18-D-24 du 5 décembre 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits électroménagers).

Cette fois-ci, la décision sanctionne des pratiques d’ententes verticales généralisées sur les prix de vente au détail entre fabricants et distributeurs de produits électroménagers. Les pratiques ont été mises en œuvre entre février 2007 et décembre 2014 avec pour objectif de réduire la concurrence, notamment celle exercée par les distributeurs en ligne, et de maintenir des prix de vente artificiellement élevés pour les consommateurs. Les fabricants et leurs distributeurs dits « traditionnels » (vendant principalement en magasin) souhaitaient donc limiter l’émergence de sites Internet, commercialisant des appareils électroménagers à prix «cassés », pour garantir des marges élevées au profit des distributeurs traditionnels.

Pour établir le bien-fondé des pratiques, l’Autorité a vérifié l’existence d’un accord de volontés entre les entreprises à travers un faisceau d’indices graves, précis et concordants établissant (i) l’invitation par le fabricant au respect d’un certain niveau de prix, et (i) l’acquiescement des distributeurs à ces invitations. Puis, l’Autorité a vérifié l’existence (ii) d’une restriction de concurrence à travers le caractère généralisé de l’entente.

i) Sous couvert de communication de prix de détail, prétendument « conseillés », les fabricants ont en réalité imposé une politique tarifaire aux distributeurs. Ils ont également instauré des mesures de contrôle, parfois quotidiennes, et de rétorsion à l’égard des distributeurs ne respectant pas les consignes de prix de revente (telles que l’arrêt ou la menace d’arrêt des livraisons ou encore l’interdiction de vente de certaines références).

ii) Les distributeurs traditionnels, dont les deux principaux Darty et Boulanger, ont pleinement participé à ces ententes afin de « préserver la valeur de leur vente », étant assurés que les produits vendus ne puissent pas se retrouver moins chers ailleurs et notamment en ligne. Ils ont donc contrôlé leurs concurrents, dénoncé certains d’entre eux qui ne respectaient pas les consignes de prix et ont même demandé aux fabricants d’agir en cas d’importants écarts de prix avec ces derniers, notamment par le biais d’une « compensation de marge ».

iii) Conformément à la jurisprudence constante de la CJUE, les ententes verticales de prix sont qualifiées d’anticoncurrentielles par objet, si bien qu’il n’y a pas lieu d’en examiner les effets.  
Afin de s’assurer que les distributeurs traditionnels puissent être les seuls à bénéficier de marges élevées, les fabricants ont mis en place des systèmes de distribution sélective imposant, par exemple, que les distributeurs disposent de « magasins en dur » ou leur interdisant la vente de certains produits sur Internet. Ces pratiques ont eu pour objet d’éliminer la concurrence intra-marque au moment du développement de la vente sur Internet, empêchant les consommateurs de bénéficier de prix plus attractifs pour l’achat de leurs produits de petit et gros électroménager.

Ces pratiques, jugées particulièrement graves et généralisées par l’Autorité, pourraient donner lieu à des actions indemnitaires. En effet, l’Autorité retient que les consommateurs ont subi un préjudice puisqu’ils n’ont pas pu bénéficier de prix plus attractifs qui auraient dû s’appliquer dans un contexte de développement des ventes en ligne d'électroménager. Les distributeurs non condamnés ont également subi un préjudice pour avoir été contraints de se conformer aux prix de revente imposés par les fabricants, limitant ainsi leur capacité à proposer des produits attractifs pour les consommateurs. Enfin, les distributeurs en ligne (« Pure-player ») pourraient également invoquer un préjudice du fait de l’absence de maintien d’une concurrence par les mérites.

Des actions indemnitaires sont donc à attendre sachant toutefois que toutes les entreprises condamnées ne seront pas traitées de la même manière compte tenu de la protection graduée accordée aux bénéficiaires de clémence et de transaction.
 

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